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À l’instar des Conseils nationaux créés à la faveur des mobilisations féministes et maternalistes au tournant du xxe siècle, les femmes juives se dotent de Conseils nationaux en Amérique du Nord. Un petit groupe d’entre elles fonde ainsi à Toronto le National Council of Jewish Women of Canada (NCJWC) en 1897, tandis que sa section montréalaise voit le jour en 1918. Alors que la population juive au Canada augmente considérablement (de 8 000 personnes à près de 48 000 personnes entre 1900 et 1920), la mobilisation des communautés juives pour accueillir et aider ces migrants à s’intégrer dans leur nouveau pays suscite la création d’institutions spécifiques comme la Jewish Immigrant Aid Society (JIAS).
C’est dans ce contexte que le Conseil canadien, qui est très proche des orientations du National Council of Jewish Women des États-Unis, doit adapter ses stratégies en fonction des politiques nationales canadiennes et québécoises en matière d’immigration, de travail social, etc. Nous voulons ici documenter l’un des effets de cette aide, en analysant en particulier l’inclusion des femmes migrantes au sein des sections du Conseil, principalement le cas des femmes sépharades qui arrivent au Canada (principalement à Montréal et à Toronto) à la fin des années 1950.
L’inclusion de ces dernières au sein du NCJWC sera minimale, voire nulle, pendant les premières années. Ce phénomène se retrouve dans les autres groupes de femmes juives, principalement ashkénazes, qui font de l’intégration des immigrants-es une priorité, mais qui peinent à intégrer des migrantes en leur sein. Au Québec, on voit toutefois apparaître dans les années 1960 et 1970 une timide incursion de femmes sépharades au sein du Conseil ; cosmétique ou tokenism, cela pourrait s’expliquer par le fait que ces dernières parlent français et que leur présence pourrait être utile dans une société majoritairement francophone. Il faut attendre les années 1980-1990 pour que la distance entre philanthropes et immigrantes soit posée comme un réel problème à régler.
Qu’est-ce qui explique ce décalage entre, d’un côté, les principes d’intégration des immigrantes et, de l’autre, l’absence des femmes sépharades de groupes tels que la NCJWC, alors qu’elles sont pourtant impliquées dans des organisations sociales et politiques dès leur arrivée ? Qu’est-ce qui explique la volonté ou la nécessité tardive de « rejoindre » ces mêmes femmes sépharades ? L’article proposera des éléments de réponse à ces questions, qui interrogeront tant le rapport à la langue et à la majorité francophone, que la distance culturelle entretenue et l’implication des femmes dans des organisations sépharades autonomes. On se demandera si les représentations orientalistes dans les programmes d’aide à l’immigration n’ont pas eu pour effet de dresser des barrières entre elles.