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Extraits vidéo du colloque sur TV.UQAM
Compte rendu par Yolande Cohen, Linda Guerry et Martin Messika
Comparer les migrations juives et arabes en provenance du Maghreb vers la France et le Québec, interroger les processus de dé-enracinement et les perceptions des migrants eux-mêmes, telles étaient les perspectives de ce colloque pluridisciplinaire organisé par le groupe de recherche Histoire, Femmes, Genre et Migrations du département d’histoire de l’UQAM (avec l’aide du Consulat de France et du département d’histoire). Durant deux jours, des historiennes, historiens, sociologues, anthropologues et professeur-es de travail social ont eu l’occasion de présenter leurs plus récents travaux sur ces questions. L’espace géographique concerné, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, d’une part, la France et le Québec de l’autre, ainsi que le cadre chronologique (de 1945 à nos jours) ont permis d’établir un certain nombre de paramètres originaux. « Sans perspective comparative, quelle est la valeur heuristique de nos conclusions érigées en généralisations à partir d’un seul cas ? » demandait en 2002 l’historienne Nancy Green dans son ouvrage Repenser les migrations.
Après que Nancy Green ait rappelé l’intérêt de cette approche, les présentations d’ouverture de Morton Weinfeld et de Denise Helly ont permis de situer dans l’espace montréalais et québécois deux populations originaires d’Afrique du Nord. Les juifs dits « sépharades » et leur place au sein d’une communauté d’originaires d’Europe de l’est et anglophone, et les flux de migrants arabes. Ces deux présentations ont souligné que la question de la migration des juifs d’Afrique du Nord (principalement dans les années 1970 et 1980) ne s’inscrivait pas dans les mêmes bornes chronologiques que celle des migrants non-juifs, plus récente (années 2000). A ce titre, la question des relations entre les communautés juives et musulmanes à Montréal a par la suite été étudiée par Jack Jedwab, qui à l’aide de plusieurs enquêtes quantitatives a pu entre autres mesurer leur sensibilité particulière au racisme et à l’antisémitisme. La pluralité des thèmes abordés et la diversité des approches adoptées témoignent de la richesse de ce champ de recherche. Ainsi, Yolande Cohen et Linda Guerry ont abordé la question du départ des populations juives d’Afrique du Nord à l’aide de récits de migrants. Les perceptions ainsi recueillies ont l’avantage de restituer des façons de dire et penser emprunts de nostalgie alors que la plupart des personnes interrogées considèrent leur migration comme nécessaire.
Cette migration a aussi été analysée à l’échelle des institutions en charge de l’immigration et de l’accueil de ces populations à Paris et à Montréal par Martin Messika. Grâce au dépouillement de centaines de dossiers tenus par des assistantes sociales, ce dernier a pu retracer l’accueil qui leur fut réservé à leur arrivée. Par ailleurs, les reconfigurations identitaires de certains migrants après l’arrivée au Canada et au Québec ont été questionnées. C’est le sens du travail mené par Lilyane Rachédi auprès d’écrivains originaires du Maghreb et de Josiane Le Gall sur la place de l’islam auprès d’une population de jeunes immigrants. Le rôle de la mémoire et la place de la peur dans la réécriture de l’expérience de la migration ont par ailleurs été mis en lumière par Sara Cohen-Fournier ; celle-ci s’est appuyée sur l’étude d’histoires de vie de migrants juifs originaires d’Afrique du Nord menée dans le cadre du projet Histoires de vie Montréal de l’Université Concordia, pour mettre en lumière le traumatisme qui est associé à la migration dans certaines trajectoires de vie.
Ces travaux comparatistes ont accordé une place importante à la situation des femmes migrantes : des exilées algériennes en France et au Québec étudiées par Myriam Hachimi Alaoui aux migrantes discriminées au Québec analysées par Michèle Vatz-Laaroussi. La question du genre a permis à Yann Scioldo-Zürcher et Yolande Cohen d’étudier les stratégies matrimoniales de migrants juifs à partir des contextes particuliers de trois institutions religieuses à Paris et à Montréal. Enfin, l’approche comparée a permis d’insister sur les spécificités des expériences coloniales. Ainsi, la particularité de l’Algérie dans l’espace colonial a justifié la rencontre entre l’historien Benjamin Stora qui a mis en avant les ressorts de la migration des Algériens en France et Djanina Messali Benkelfat qui est revenue sur le parcours de son père Messali Hadj. Nous avons pu voir à cette occasion l’intensité de l’engagement et du questionnement politique des personnes originaires d’Algérie présentes en grand nombre dans la salle. Cette rencontre entre plusieurs cultures et expériences migratoires a rappelé la richesse et l’intérêt de mener des recherches comparées. Elle a par ailleurs mis en lumière les enjeux auxquels sont confrontés les chercheurs pour articuler les différentes échelles de comparaison et différents cadres chronologiques : enjeux politiques et historiques des circulations migratoires entre différents pays qui mettent en jeu aussi bien la mémoire des migrants que les politiques migratoires des États et des institutions qui les accueillent.