Christine Chevalier-Caron, Yolande Cohen, Samia Dumais
Création d’hôpitaux et d’hôtels-Dieu – 1639 à 1880.
Les Congrégations religieuses fondent plus de 16 hôpitaux ainsi que plusieurs hôtels-Dieu au Québec entre 1639 à 1889. Au total, ce sont plus de 50 congrégations religieuses qui s’affairent au développement du réseau hospitalier au Canada. Ce monopole s’explique par la fonction traditionnelle de l’hôpital dans la chrétienté. La vocation des hôpitaux diffère de celle des hôtels-dieu. Les hôpitaux généraux servent d’abord de lieux d’accueil pour divers groupes de la population, tels que les pauvres, les vieillard·e·s, les travailleuses de sexe, les orphelin·e·s et les infirmes. Ils peuvent aussi servir de lieu de soins, notamment pour les soldats. Les congrégations des Soeurs de la Providence et des Soeurs Grises s’illustrent particulièrement dans la fondation d’hôpitaux. La mission des hôtels-Dieu diffère ; les établissements servent principalement à prodiguer des soins médicaux. Pratiqués par des médecins ou des chirurgiens nommés par l’État, les hôtels-Dieu sont organisés selon le modèle français et hébergent toutes les classes de la société, contrairement aux hôpitaux généraux qui s’occupent des plus démunis. Cependant, bien que ces institutions soient médicalisées, le travail des religieuses est central à la vocation des établissements. La volonté de sauver l’âme est tout aussi importante, sinon plus, que la volonté de guérir le corps.
Christina Bates. Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2005, p.58-59-60.
Fondation de la congrégation des Sœurs de la Charité dites Sœurs Grises – 1737
Cette congrégation est fondée en secret par Marguerite Lajemmerais (veuve Youville) pour s’occuper des pauvres et des malades de Montréal. Le but premier de cette congrégation est de s’occuper des femmes ayant des besoins urgents : aucune autre institution de ce genre existe à l’époque. Malgré une jeunesse difficile, Marguerite d’Youville consacre une grande partie de sa vie aux œuvres caritatives et religieuses, ce qui mène à la création de la congrégation des Soeurs de la Charité. Soupçonnées de tirer du profit du commerce d’alcool, les Soeurs de la Charité se font également appeler Soeurs Grises. En 1753, le roi Louis XV octroie à la communauté des Soeurs grises un statut légal. En 1990, Marguerite d’Youville est canonisée par le pape Jean Paul II et devient la première personne née au Canada à bénéficier du statut de sainte.
Les Sœurs Grises de Montréal. «Notre histoire », sans date. <. https://sgm.qc.ca/les-soeurs-grises/notre-histoire/>
Tyler C. Noakes. « Marie-Marguerite d’Youville », L’Encyclopédie Canadienne, 3 février 2020. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/youville-marie-marguerite-d
Création et prise en charge d’hôpitaux par les Soeurs Grises- 1747 à 1880
La congrégation des Soeurs Grises de Montréal se distingue par son apport dans le domaine des soins et par la création d’établissements médicaux. D’abord, les Soeurs Grises prennent en charge l’Hôpital général de Montréal en 1747.Fondé en 1737 par François Charron de La Barre, l’hôpital est au bord de la faillite lorsque Marie-Marguerite d’Youville est nommée directrice provisoire de l’établissement. Les Soeurs Grises entreprennent de transformer l’institution en refuge qui accueille divers groupes de la population : des personnes âgées, des orphelin·e·s, des enfants et les « femmes perdues ». Les Soeurs Grises fondent également l’Hôpital Saint-Jean à Saint-Jean d’Iberville en 1868 ainsi que l’Hôpital Notre-Dame à Montréal en 1880.
Tyler C. Noakes. « Marie-Marguerite d’Youville » L’Encyclopédie Canadienne, 3 février 2020. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/youville-marie-marguerite-d
Christina Bates. Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2005, p.59.
Croissance de la communauté des Soeurs Grises – 1840
Les années 1840 se caractérisent par l’essor démographique de Montréal ainsi que l’amélioration des conditions économiques de la ville. Cette croissance contribue à la notoriété des Soeurs Grises, qui sont sollicitées par des évêques qui vivent à l’extérieur de la grande ville. Cinq congrégations autonomes seront fondées suite au départ des Soeurs dans diverses villes au Canada et aux États-Unis. Ces congrégations se trouvent à St-Hyacinthe (1840), à Ottawa (1845), à Pembroke (1921), à Québec (1849), au Manitoba (1844) et à Philadelphie (1926). Dans chacunes de ces congrégations, les Soeurs Grises prennent en charge divers établissements de soins, fondent des hôpitaux et s’illustrent auprès des communautés par leur engagement social et caritatif, ce qui démontre l’étendue de leur héritage.
Les Sœurs Grises de Montréal. «Notre histoire », sans date. <. https://sgm.qc.ca/les-soeurs-grises/notre-histoire/>
Fondation de la congrégation Filles de la Charité, Servantes des pauvres (Soeurs de la Providence) – 1844
Cette congrégation est fondée par Marie-Émilie Gamelin à Montréal en 1844 et regroupe plus de 120 maisons dans toute l’Amérique du Nord. Au sein de ces 120 maisons, il y a plus de 51 hôpitaux ainsi que des écoles d’infirmières et des hospices. Cette congrégation œuvre d’abord dans les domaines de l’éducation et des services sociaux, en plus de s’investir dans diverses œuvres de charité. Les Soeurs de la Providence fondent plusieurs hôpitaux, tels que l’Hôpital Saint-Camille à Montréal (1849), l’Hôpital Saint-Eusèbe à Joliette (1855), l’Hôpital Saint-Joseph à Trois-Rivières (1864) et l’Hôpital Sacré-Coeur à Montréal (1874). À partir de 1970, cette congrégation est connue sous le nom de Soeurs de la Providence.
Michel Thériault. « Sœurs de la Providence », L’Encyclopédie Canadienne, 16 décembre 2013. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/soeurs-de-la-providence
Christina Bates. Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2005, p.59.
Ouverture de l’hospice Sainte-Pélagie à Montréal – 1845
Situé sur la rue Wolfe, à Montréal, l’hospice accueille les jeunes mères célibataires et les femmes enceintes sans ressources dans une époque où elles sont considérées comme « la honte de la famille et de la société ». Prises sous l’aile de Rosalie Cadron-Jetté, qui n’est pas sœur à ce moment, les jeunes femmes sont encadrées et accompagnées par plusieurs femmes. Il s’agit de la première maternité de Montréal.
Martine Carle. « Rosalie Cadron-Jetté. Au secours des mères célibataires » dans Ces femmes qui ont bâti Montréal, Remue-Ménage, 1992, p.88-89.
Répertoire du patrimoine culturel du Québec. « Sœurs de la Miséricorde », sans date. https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=24797&type=pge#.U7bztctOW70
Fondation de l’Institut des Sœurs de Miséricorde – 1848
Lors de l’instigation de l’évêque Mgr Bourget, Rosalie-Cadron Jetté prononce ses vœux simples et prend le nom de Marie-Rosalie Cadron, sœur de la nativité. Elle est reconnue comme la fondatrice des Sœurs de Miséricorde bien qu’elle n’ait jamais accepté d’occuper un poste de direction, ce qui témoigne de sa modestie. Lors de sa création, l’institut pratique principalement des accouchements. Cependant, l’établissement se développe rapidement et bénéficie d’une présence transnationale à la fin du XIXe siècle ; les Sœurs sont présentes dans divers diocèses aux États-Unis et dans l’ouest du Canada.
Martine Carle. « Rosalie Cadron-Jetté. Au secours des mères célibataires » dans Ces femmes qui ont bâti Montréal, Remue-Ménage, 1992, p.88-89.
Répertoire du patrimoine culturel du Québec. « Sœurs de la Miséricorde », sans date. https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=24797&type=pge#.U7bztctOW70
Loi de 1876
Gérée par le gouvernement fédéral, cette loi vise à annihiler toute culture autochtone et forcer les peuples des Premières Nations à adopter un style de vie euro-canadien. Cette loi empêche les femmes autochtones d’accéder à des formations de soins de santé ainsi que de pratiquer le métier d’infirmière.
Christine Chevalier-Caron, Séance 8, Histoire des femmes dans une perspective transnationale (HIS4830), UQAM, 22 octobre 2020.
William B. Henderson. « Loi sur les Indiens », L’Encyclopédie Canadienne, 16 décembre 2020. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/loi-sur-les-indiens
Création du dispensaire de diététique de Montréal – 1879
Initié par Emily F. Dewitt (1842-1922), le dispensaire de diététique de Montréal est créé dans la foulée du mouvement hygiéniste en Amérique du Nord. Le but du dispensaire est de distribuer une aide alimentaire de haute valeur nutritive aux personnes plus démunies de la ville. Lors de sa première année d’existence, le dispensaire répond à plus de 300 demandes d’aide en distribuant diverses denrées auprès de gens ayant des problèmes de santé.
Source : Christine Chevalier-Caron. « Emily F. DeWitt (1842-1922)» Réseau Québécois en Études Féministes. https://reqef.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/23/Emily-F.-Dewitt.pdf
L’héritage de Charlotte Edith Anderson Monture (1890-1996)
Membre de la nation Kanien’kehá:ka, Charlotte Edith Anderson Monture grandit dans la réserve des Six Nations à Ohsweken, en Ontario. Elle est refusée dans les écoles de soins infirmiers en Ontario à cause de son statut d’autochtone. Elle ira compléter ses études à la New Rochelle Nursing High School à New-York et deviendra la première autochtone diplômée du Canada en 1914. Elle fait carrière dans l’armée américaine pendant la Première Guerre mondiale. Son parcours est particulier ; en plus d’être l’une des rares femmes autochtones à participer à la guerre, elle est la première femme autochtone à obtenir le droit de vote aux élections fédérales. Anderson passe le reste de sa vie à militer pour un meilleur accès au système de santé pour les Autochtones et termine sa carrière en tant que présidente honoraire de la Croix-Rouge de Ohsweken.
Maude Savaria. « Charlotte Edith Anderson Monture, Infirmière (10 avril 1890 – 3 avril 1996) », Les Péripatéticiennes, (En ligne) https://lesperipateticiennes.com/charlotte-edith-anderson-monture-infirmiere-10-avril-1890-3-avril-1996/
Heather Conn. «Edith Monture», L’Encyclopédie canadienne, 4 décembre 2017. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/edith-monture
Début du processus de professionnalisation des soins de santé – 1890
Organisée par des infirmières canadiennes-anglaises, la professionnalisation des soins infirmiers se distingue par la régularisation des pratiques qui entourent le nursing. Les infirmières instaurent le modèle médical des soins infirmiers qui se découpe en plusieurs pratiques, telles que l’enregistrement légal du titre garantissant l’exclusivité de la pratique et le contrôle de la production des connaissances par les associations professionnelles d’infirmières. Ces mesures impliquent la laïcisation de la profession. Toutefois, ces nouvelles pratiques ne font pas l’unanimité : les sœurs hospitalières et les infirmières laïques perçoivent plutôt de l’ingérence étatique au sein de cette professionnalisation.
Yolande Cohen et Éric Vaillancourt. « L’identité professionnelle des infirmières canadiennes-françaises à travers leurs revues (1924-1956) », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.50, no.4, 1997, p.539.
Ouverture de la première école de formation de gardes-malade au Canada -1890
Fondée par Gertrude Elizabeth Livingston, l’école ouvre au sein de l’Hôpital général de Montréal. Cette école se distingue par la rigueur de son enseignement. Avec plus de 200 demandes d’admission annuellement, Livingston n’accepte que les meilleures candidates. Créée en plein mouvement de professionnalisation du métier d’infirmière, la formation offerte se caractérise par l’éloignement de l’image de la nurse « ancienne manière » ainsi que par la création de critères élevés d’accès à la profession.
Yolande Cohen et Michèle Dagenais. « Le métier d’infirmière : savoirs féminins et reconnaissance professionnelle », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.41, no.2, 1987, p.161-162.
La faculté de médecine de l’Université Bishop’s ouvre ses portes aux femmes – 1890
L’Université Bishop’s est la première université québécoise à ouvrir les portes de sa faculté aux femmes, en 1890. En 1891, Octavia Grace Ritchie est la première femme à recevoir un diplôme médical au Québec de l’université. Trois ans plus tard, c’est Maude Abbott, internationalement reconnue pour son travail sur les maladies congénitales cardiaques qui obtient son diplôme. Elle demeure la plus célèbre diplômée de la faculté à ce jour. Seulement dix femmes terminent leurs études dans la faculté ; cette dernière fusionne avec la faculté de médecine de McGill en 1905, ce qui empêche les femmes d’étudier en médecine jusqu’en 1918.
Université Bishop’s, Historical Timeline 1854-1907. https://www.ubishops.ca/about-bu/historical-timeline/1854-1907/
Francine Descarries. « La ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec », Réseau Québécois en Études Féministes. https://histoiredesfemmes.quebec/lignedutemps.html#89
Réforme britannique du nursing – Début du XXème siècle
Les pionnières du nursing usent d’une rhétorique commune, le care, pour jeter les bases d’une nouvelle façon de pratiquer les soins infirmiers. Cette réforme naît au sein du large mouvement philanthropique anglo-protestant et mène à l’adoption de nouveaux critères d’enseignement du nursing. Cette réforme se solde par l’embauche d’infirmières formées par les écoles britanniques et étasuniennes dans les hôpitaux anglophones canadiens, notamment en Ontario et au Québec. Le rôle de l’infirmière britannique Florence Nightingale (1820-1910)est central dans cette réforme. De nombreuses infirmières graduées s’approprient les concepts de Nightingale, qui s’articulent à travers la nécessité de bénéficier d’une formation appropriée, caractérisée par l’appropriation de nouveaux savoirs techniques et scientifiques. C’est grâce aux notions de Nightingale que le nursing amorce son tournant médical et professionnel dans le domaine des soins.
Yolande Cohen. « Rapports de genre, de classe et d’ethnicité : l’histoire des infirmières au Québec », Canadian Bulletin of Medical History / Bulletin canadien d’histoire de la médecine, Vol. 21, No. 2, 2004, p.393.
Yolande Cohen. « Réflexions sur l’histoire des infirmières au Québec», Recherche en soins infirmiers, Vol.2, No.93, p.86 et 88.
Première femme admise au Collège des médecins – 1903
Grâce à un bill privé émis par l’Assemblée législative du Québec, Irma Levasseur (1878-1964) est admise au Collège des médecins de la province de Québec. Elle est la première femme francophone admise dans ce collège exclusivement réservé aux hommes. Irma Levasseur consacre sa vie à la médecine et plus spécifiquement à la pédiatrie. Ce domaine est peu connu au Québec, mais Irma Levasseur reconnaît le besoin criant d’expertise : le taux de mortalité infantile est très élevé à Montréal. Elle sera à l’origine de la fondation de l’hôpital Sainte-Justine de Montréal en 1908 aux côtés de Justine Lacoste-Beaubien et de l’hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec en 1923.
Francine Descarries. « La ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec », Réseau Québécois en Études Féministes. https://histoiredesfemmes.quebec/lignedutemps.html#124
Suzanne Lavigne. « Irma Levasseur (1878-1964), Première femme admise au collège des médecins », Ces femmes qui ont bâti Montréal, Remue-Ménage, 1992, p.150-151. https://histoiredesfemmes.quebec/pdf/Levasseur.pdf
Création de la Canadian National Association of Trained Nurses – 1908
Aujourd’hui connue sous le nom de l’Association des Infirmières et des Infirmiers du Canada, l’organisation est initiée par Mary Agnes Snively (1847-1933), infirmière en chef du Toronto General Hospital. Accompagnée de représentantes de 16 associations d’infirmières, Snively tente d’améliorer les programmes de formation des infirmières et d’obtenir un statut professionnel à travers la nouvelle association. Cette dernière prend rapidement de l’expansion : en 1911, l’association compte plus de 28 membres affiliés issus de divers groupes locaux et régionaux. En 1924, toutes les associations provinciales du Canada sont membres de l’association-mère créée par Snively.
Francine Descarries. « La ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec », Réseau Québécois en Études Féministes. https://histoiredesfemmes.quebec/lignedutemps.html#139
Association des Infirmières et des Infirmiers du Canada. « Histoire », sans date.
https://www.cna-aiic.ca/fr/a-propos-de-nous/histoire
Loi d’enregistrement des infirmières – 1920
Cette loi confère le contrôle de l’accès à la profession d’infirmières, en attribuant le titre et la fonction de garde-malade, au sein de l’Association des Gardes-malade enregistrées de la Province de Québec (AGMEPQ). La démarche de cette loi correspond à un mouvement plus grand : celui de scientifiser la profession d’infirmière par la ressemblance du modèle d’enregistrement avec celui des médecins. La création d’un corps de gardes-malade permet de bénéficier d’une certaine visibilité auprès du grand public, mais aussi de témoigner de son expertise en tant qu’infirmière : il faut posséder certaines compétences pour s’inscrire. Les infirmières qui souhaitent faire partie du corps doivent être âgées de 23 ans ou plus, être de bonne réputation et détenir un certificat d’une école de formation rattachée à un hôpital général. Cependant, cette loi ne fait pas l’unanimité : certaines gardes-malades francophones exigent un assouplissement des mesures afin que les infirmières pratiquantes puissent bénéficier de l’enregistrement.
Yolande Cohen. « La modernisation des soins infirmiers dans la province de Québec (1880-1930). Un enjeu de négociations entre professionnels », Sciences Sociales et Santé, 1995, vol.13, no. 3, p.22-23.
https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_1995_num_13_3_1335
La modernisation du nursing au Québec : deux systèmes – à partir de 1920
Durant les années qui précèdent le début de la Seconde Guerre mondiale, deux systèmes du nursing s’opposent. D’abord, un système qui offre une vision davantage traditionnelle du nursing, inspirée du modèle franco-catholique et entièrement confessionnel. Ce système accueille des femmes blanches, célibataires et religieuses. Le second système s’articule autour du modèle anglo-protestant, caractérisé par une vision professionnelle du nursing. Les femmes recrutées auprès des écoles d’hôpitaux sont anglophones, blanches et éduquées. Elles bénéficient d’une formation auprès des infirmières graduées des hôpitaux nord-américains. Les femmes racisées, noires et autochtones ne sont pas les bienvenues dans les formations d’infirmières.
Yolande Cohen. « Rapports de genre, de classe et d’ethnicité : l’histoire des infirmières au Québec », Canadian Bulletin of Medical History / Bulletin canadien d’histoire de la médecine, Vol. 21, No. 2, 2004, p.399.
Programme de perfectionnement pour les infirmières franco-canadiennes – 1922 et 1923
Soeur Fafard (1875-1925) et Soeur Duckett (?-?) développent un programme de perfectionnement pour les infirmières franco-canadiennes. Ce dernier vise autant les religieuses que les laïques, s’offre sous forme de cours d’été et offre diverses formations dans des domaines connexes aux soins infirmiers tels que la diététique, l’administration hospitalière, l’éducation hospitalière, l’instruction hospitalière et l’organisation professionnelle.
Source : Christine Chevalier-Caron. « Sœur Fafard (1875-1925) », Réseau Québécois en Études Féministes. https://reqef.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/23/Soeur-Fafard.pdf
Association des Infirmières Universitaires – 1924
Cette association est l’initiative de quatre frères religieux, une laïque et la notable Soeur Fafard (1875-1925). L’Association des Infirmières Universitaires, aussi appelée la filiale, revêt de multiples objectifs: faciliter les rencontres et les échanges entre les infirmières universitaires entre les francophones et les anglophones, uniformiser les pratiques professionnelles et promouvoir les études supérieures en nursing.
Christine Chevalier-Caron. « Sœur Fafard (1875-1925) », Réseau Québécois en Études Féministes . https://reqef.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/23/Soeur-Fafard.pdf
Journal La Veilleuse – 1924 à 1927
Fondé par Soeur Fafard (1875-1925) et Soeur Duckett (?-?), au moment où le corps infirmier francophone est de plus en plus laïque, le journal La Veilleuse tente d’unir le caractère catholique de la profession d’infirmière et les nouveaux savoirs scientifiques. Des médecins contribuent à la rédaction des articles ; ils partagent leurs notes de cours pour améliorer la formation des infirmières. Ce journal permet de stimuler le partage de connaissances entre les infirmières et de faire le pont entre les études anglophones et francophones. Toutefois, le journal n’existe que trois ans : suite au décès de Soeur Fafard, la revue éprouve des difficultés et cesse d’être publiée en 1927.
Christine Chevalier-Caron. « Sœur Fafard (1875-1925) », Réseau Québécois en Études Féministes. https://reqef.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/23/Soeur-Fafard.pdf
Journal La Garde-malade canadienne-française – 1928 à 1956
Créé à la suite à la disparition du journal La Veilleuse, le journal de La Garde-malade canadienne-française (GMCF) est dirigé par une majorité d’infirmières laïques dont Charlotte Tassé (1893-1974). Les sœurs hospitalières sont tout de même impliquées en tant que conseillères du comité exécutif jusqu’en 1938. Contrairement à La Veilleuse, La GMCF se considère comme porte-parole des infirmières laïques : elles incarnent le futur de la profession. L’idéologie de la famille et l’attachement à la langue française sont des valeurs mises de l’avant par le journal. La GMCF correspond avec plus de 23 revues dans le monde, ce qui contribue à la transmission du savoir infirmier franco-canadien. En 1957, le journal se transforme pour devenir Les Cahiers du nursing canadien : cette nouvelle appellation symbolise l’adoption du modèle professionnel de nursing développé par les canadiennes-anglaises.
Yolande Cohen et Éric Vaillancourt. « L’identité professionnelle des infirmières canadiennes-françaises à travers leurs revues (1924-1956) », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.50, no.4, 1997, p.552-553.
Enquête du docteur Weir – 1929 à 1931
Le but de cette enquête est de proposer des recommandations afin d’améliorer la formation des infirmières dans tout le Canada. Cette enquête est l’élément déclencheur du mouvement d’émancipation des infirmières laïques. Plus de 145 écoles d’infirmières sont visitées et 650 colloques sont organisés avec des infirmières, des étudiantes, des médecins et des représentants du public. L’enquête conclut que les infirmières passent trop de temps à effectuer des tâches ménagères et qu’il est nécessaire de faire une réforme éducative dans les écoles d’infirmières.
Yolande Cohen et Éric Vaillancourt. « L’identité professionnelle des infirmières canadiennes-françaises à travers leurs revues (1924-1956) », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.50, no.4, 1997, p.556-557.
Grande Dépression – Années 1930
Au lendemain de la crise économique qui secoue l’Amérique du Nord, les Soeurs Grises se retrouvent sur la ligne de front pour subvenir aux besoins des plus démunis de la ville de Montréal. Elles distribuent des vivres aux familles, offrent des services sociaux à domicile et procurent diverses informations sur l’alimentation, l’hygiène et l’aménagement de la maison. L’implication des Soeurs auprès de la société pendant la crise démontre l’étendue du care prodigué par des femmes dont les compétences sont associées aux soins médicaux.
Les Sœurs Grises de Montréal. « Notre histoire », sans date. <. https://sgm.qc.ca/les-soeurs-grises/notre-histoire/>
Embauche d’infirmières laïques – 1930
Suite au mouvement de professionnalisation des infirmières qui se caractérise par la laïcisation des pratiques, les tenants de la science excluent bon nombre de directions hospitalières dans les hôpitaux. Les Soeurs grises doivent concentrer leurs prérogatives dans les domaines de soins aux malades et des écoles d’infirmières. C’est dans ce contexte que les infirmières laïques diplômées sont embauchées à partir du début des années 1930.
Yolande Cohen. « La modernisation des soins infirmiers dans la province de Québec (1880-1930). Un enjeu de négociations entre professionnels », Sciences Sociales et Santé, 1995, vol.13, no. 3, p.17-18.https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_1995_num_13_3_1335
Fondation de l’institut de Marguerite d’Youville – 1934
C’est en 1934 qu’est fondée l’École supérieure des Gardes Malades sous le nom de l’Institut de Marguerite d’Youville, École Supérieure d’Infirmières, par Soeur Virginie Allaire (1882-1969). L’Institut est situé à Montréal, sur le boulevard René-Lévesque, dans les locaux de la Maison mère des Soeurs Grises. Cet institut sera le seul à prodiguer un enseignement de niveau supérieur en français, jusqu’en 1954. Le curriculum est similaire à celui de la School of Graduate Nurses de McGill : il y a des spécialisations en sciences naturelles et en sciences humaines, mais aussi en littérature, en philosophie, en morale médicale et en apologétique. L’institut sera intégré à la Faculté de nursing de l’Université de Montréal en 1967.
Les Sœurs Grises de Montréal. « Notre histoire », sans date. <. https://sgm.qc.ca/les-soeurs-grises/notre-histoire/>
Yolande Cohen. Profession Infirmière. Une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2000, p.217 et 224.
La syndicalisation des infirmières de Montréal – 1940
En 1940, l’entrée massive des infirmières à titre de salariées dans les institutions hospitalières engendre un processus de syndicalisation. Cette syndicalisation est la première du genre au Canada et introduit une distinction importante entre le travail réalisé par les infirmières et la profession d’infirmière . Cependant, ce processus entraîne divers conflits de légitimité, qui mènent à la création de diverses lois afin que les infirmières puissent négocier leurs conditions de travail. C’est à travers ces contestations que sera créé le premier syndicat d’infirmières, l’Alliance des Infirmières de Montréal.
Yolande Cohen. Profession Infirmière. Une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2000, p.191-192.
Fin de l’exclusion des femmes noires au sein de la profession d’infirmière – 1945
Avant la Seconde Guerre mondiale, les femmes noires ne peuvent pratiquer la profession d’infirmière dans les cliniques et les hôpitaux canadiens. Elles se font refuser l’accès aux formations de soin. C’est seulement en 1945 que la première infirmière noire du Canada, Bernice Redmond, est embauchée par le Département de santé de la Nouvelle-Écosse. Comme plusieurs infirmières noires, Redmond est formée aux États-Unis, qui acceptent les femmes noires dans les écoles de nursing. Inévitablement, les Afro-Canadiennes qui quittent le pays pour suivre une formation de nursing aux États-Unis finissent par s’y établir de façon définitive. Malgré la fin de cette exclusion, les pratiques discriminatoires persistent dans le domaine et visent autant les patient·e·s que les infirmier·ère·s.
Peggy Bristow (dir). We’re Rooted Here and They Can’t Pull Us Up, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p.206-207.
Nouveau discours sur le nursing – à partir des années 1950
En 1950, la mixité s’insère dans le discours officiel du nursing. Toutes caractéristiques liées à l’identité féminine, telles que la compassion et le caring, sont évacuées des discours officiels. Les nombreuses références au genre féminin et à la religion sont effacées des manuels scolaires, et de nouvelles théories d’enseignement inspirées des sciences sociales et de la psychologie voient le jour.
Yolande Cohen. « Rapports de genre, de classe et d’ethnicité : l’histoire des infirmières au Québec », Canadian Bulletin of Medical History / Bulletin canadien d’histoire de la médecine, Vol. 21, No. 2, 2004, p.404.
Fondation de la première école d’infirmières auxiliaires du Québec – 1950
Cette école est fondée par Charlotte Tassé (1893-1974) et est établie au sein même du Sanatorium Prévost, un institut dédié aux patient·e·s atteint·e·s de troubles de santé mentale. L’école s’inspire du modèle américain de la profession. Le but de l’institution est de pallier le manque d’infirmières, mais ses répercussions sont plus grandes : plusieurs écoles du même genre sont créées à la suite de cette initiative.
Sophie Doucet. « Charlotte Tassé (1893-1974) », Réseau Québécois en Études Féministes. https://reqef.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/23/Charlotte-Tassé-fiche-1.pdf
Arrivée d’infirmières haïtiennes au Québec – Années 1960 et 1970
Le Québec assiste à une importante vague d’immigration haïtienne dans les années 1960 et 1970. On dénombre plusieurs femmes haïtiennes qui exercent la profession d’infirmière. C’est une main-d’œuvre grandement demandée au Québec : le système de santé se développe à la suite de la mise en place de l’État Providence et le besoin est criant. Toutefois, les infirmières haïtiennes sont reléguées à des fonctions subordonnées, sont obligées de travailler de nuit et subissent du racisme sur leur lieu de travail.
Sean Mills. Une place au soleil. Haïti, les Haïtiens et le Québec , Montréal, Mémoire d’encrier, 2016, p.285.
Fondation de la Canadian Indigenous Nurse Association – 1975
En 1974, les infirmières Jocelyn Bruyère et Jean Goodwill s’attribuent un grand mandat : celui d’identifier et de contacter des infirmières ayant des origines autochtones au Canada. C’est une tâche colossale : à l’époque, il n’y avait pas de registre regroupant les origines des infirmières canadiennes. Un an plus tard, une quarantaine d’infirmières répondent à l’appel et se rassemblent à Montréal afin de mettre en commun leur expertise et leur héritage. Initialement connue sous le nom de Registered Nurses of Canadian Indian Ancestry, l’association connaît certaines difficultés administratives et enjeux légaux avant d’être officiellement reconnue. L’organisation est toujours active aujourd’hui et vise à créer des liens entre le gouvernement, les communautés autochtones et les professionnel·le·s de la santé, tout en priorisant l’accès aux soins universels de santé pour les Autochtones.
Canadian Indigenous Nurse Association. « About », sans date. <http://www.indigenousnurses.ca/about>
Création du Ralliement des infirmières haïtiennes – 1977
En 1977, plus de 150 infirmières haïtiennes se rassemblent et créent le Ralliement des infirmières haïtiennes. Cette association part d’un désir de solidarité au sein des infirmières, qui constatent vivre les mêmes difficultés sur leur lieu de travail. C’est à travers cette association que les infirmières contribuent à l’éducation de la santé sexuelle des membres de la communauté haïtienne, en plus d’aborder certains enjeux tels que les comportements sexuels ainsi que le mythe de la beauté blanche.
Une place au soleil. Haïti, les Haïtiens et le Québec , Montréal, Mémoire d’encrier, 2016, p.286.
Bibliographie
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